Fonds Souverains

Les fonds souverains, l’atout financier de Kadhafi

 Les fonds souverains, l’atout financier de Kadhafi

Le régime de Kadhafi a l’habitude d’entrer au capital des groupes européens grâce aux milliards de liquidités issues de la production pétrolière. Et en a fait sa fortune…

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Placements financiers ou moyens de pression diplomatiques? Sans doute les deux. Comme les autres pays de la région riches en liquidités, alimentés par l’or noir qui jaillit des champs de pétrole, la Libye procède depuis plusieurs années à de nombreux investissements à l’étranger. Ils se traduisent le plus souvent par des prises de participation dans des groupes internationaux via une myriade de fonds souverains opaques. Ces fonds sont dirigés par la LIA (Libyan Investment Authority), une structure tout aussi nébuleuse au service du clan Kadhafi, qui, d’après son site internet, est une « organisation du gouvernement libyen créée le 28 août 2006 par le comité général du peuple de Libye pour valoriser les revenus pétroliers du pays et diversifier les richesses nationales ». Sa création a été rendue possible par la levée des sanctions de l’Onu contre le pays en 2003. La LIA disposait en janvier 2010 de 32 milliards de dollars de liquidités, dont la plupart dans des banques anglaises, selon un câble diplomatique américain récemment révélé par WikiLeaks, qui rapporte des propos de son directeur Mohamed Layas, un banquier issu du premier cercle de Kadhafi.
La LIA chapeaute notamment la Lafico (Libyan Arab Foreign Investment Company), qui, d’après un article de l’hebdomadaire Jeune Afrique daté du 9 juin 2008, est le « bras armé financier du pays à l’étranger (…), présent dans le capital de plus de quatre-vingts entreprises dans le monde (tourisme, immobilier, industrie, agriculture, transport, mines) ». La Libye possède également deux fonds d’investissement spécialement dédiés au continent africain, la Laaico (Libyan Arab African Investment Company) et le LAP (Libya Africa Investment Portfolio). 

Aussi une banque d’investissement

A côté du LIA, le régime de Kadhafi s’appuie également sur une banque d’investissement, la LFB. La Libyan Foreign Bank, créée en 1972, trois ans après l’arrivée au pouvoir de Kadhafi, dispose d’un capital de 8,7 milliards de dollars depuis 2010, dont 3 milliards (le « capital d’apport ») sont consacrés à des investissements à l’étranger. « La banque a pour ambition de procéder à des investissements étrangers, des opérations bancaires et financières », est-il écrit sur le site de la LFB. Elle a surtout des participations dans des banques. Ainsi, en Espagne, elle possède 99,86% de la Banco Arab Espanol, au capital de 300 millions d’euros. Elle est également présente en France, en Italie et en Grande-Bretagne, mais son terrain de jeu préféré reste l’Afrique et le Moyen-Orient.
En raison de l’opacité qui règne dans ces structures, il est impossible de procéder à une revue exhaustive des investissements libyens en Europe -d’autant plus qu’en-dessous d’un certain seuil, rien n’oblige les parties concernées à les rendre publics-, de même qu’on ne peut évaluer avec certitude la fortune du clan Kadhafi (de 23 à 87 milliards de dollars, selon les estimations). Voici seulement quelques exemples des participations libyennes sur le continent, qui montrent que Kadhafi n’a oublié personne.

En France
La LFB possède une participation de 50% dans la Banque intercontinentale Arab, au capital de 158 millions d’euros, et de 5,57% dans l’UBAF Paris, dotée de 250 millions d’euros. La première explique sur son site internet qu’elle « finance les entreprises qui exportent ou qui ont vocation à développer un chiffre d’affaires sur ses marchés de prédilection », c’est-à-dire en Libye. 

En Italie
Rome est le principal partenaire économique de son ancienne colonie, qui y a investi massivement ces dernières années. Selon le quotidien Il Sole 24 Ore, la valeur des parts détenues par Tripoli dans des groupes transalpins s’élève à 3,6 milliards d’euros. 
La Libye est la première actionnaire de la banque UniCredit, avec 7,582% du capital, grâce aux participations cumulées de la LIA (2,594%) et de la banque centrale libyenne (4,988%). Une participation évaluée à environ 2,7 milliards d’euros au cours moyen du début d’année 2011. En septembre dernier, la montée au capital de la Libye avait provoqué la chute du directeur général de la banque, poussé vers la sortie par les actionnaires, méfiants.
Par ailleurs, la LIA détient 2,01% du groupe d’aéronautique et de défense Finmeccanica et la Lifoca 7,5% de la Juventus de Turin. Le club de football appartient à la famille Agnelli, propriétaire de Fiat, dont elle posséda jusqu’ à 15% du capital de 1976 à 1986, empochant au passage une plus-value supérieure à2,5 milliards de dollars. Une participation abandonnée notamment sous la pression du président américain Reagan. En 2002, la Lafico a racheté 2% du constructeur pour 112 millions de dollars. 
Echange de bons procédés, la Libye possède enfin une petite participation dans le groupe pétrolier ENI (0,5%), qui est le principal producteur étranger d’or noir sur son territoire. En 2008, elle ambitionnait de prendre 5 à 10% du capital du groupe, avant d’abandonner, de même qu’elle avait montré, sans aller au bout, son intérêt pour Enel et Telecom Italia.

En Grande-Bretagne
La LIA possède 3,27% des actions du groupe britannique d’édition Pearson, propriétaire du Financial Times notamment. Ce qui représente environ 300 millions d’euros. Compte tenu du triplement des bénéfices du numéro un mondial de l’édition scolaire en 2010, le fonds libyen aurait dû percevoir près 6,8 millions de livres (près de 8 millions d’euros) de dividendes. Mais l’Etat britannique a décidé le 1er mars de geler les avoirs de Kadhafi et de ses proches.
En 1992, la Lafico rachetait au conglomérat britannique Lonrho un tiers de sa chaîne hotelière Metropole pour 177,5 millions de livres (plus de 300 millions de dollars à l’époque). Quatre ans plus tard, l’ancien propriétaire reprend sa part, moyennant 389 millions de dollars.

En Suisse
Le Libyan African Portfolio (LAP) possède une branche helvétique, naguère dotée de plus de 5 milliards de francs suisses (3,8 milliards d’euros) pour ses investissements. Mais la crise diplomatique entre les deux pays, après l’arrestation en 2008 d’un des fils Kadhafi pour des violences sur des domestiques, a conduit Tripoli à réduire ses investissements en Suisse. D’après la Banque nationale suisse, le clan n’y aurait plus que 640 millions de francs d’avoirs.

En Autriche
En 2009, la LIA faisait l’acquisition de 10% de Wienerberger, numéro un mondial de la brique, à l’occasion d’une augmentation de capital d’au moins 335,8 millions d’euros. Ce qui plaçait le fonds au second rang des actionnaires du groupe.

En Russie
Le principal fonds souverain libyen a pris en 2009 une participation de 1,43%, pour 300 millions de dollars dans le géant de l’aluminium Rusal, dont le patron est Oleg Deripaska, un proche de Saif, le fils préféré de Kadhafi.

En Espagne

En 2007, le groupe espagnol de BTP et d’immobilier Sacyr Vallehermoso s’est associé avec la Libyan Company for development and investment, pour se positionner sur le marché des infrastructures libyennes.

En Islande
Au plus fort de la crise financière islandaise, en 2008, la LIA discutait avec la direction de la filiale luxembourgeoise de la banque Kaupthing, alors en cessation de paiement, pour la reprendre. Les négociations étaient sur le point d’aboutir pour un euro symbolique, avant d’échouer, la banque préférant se reposer sur des aides d’Etat.

par Jérôme Lefilliâtre,  Challenges.fr, mars11

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