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Que penser de l’augmentation du cours de l’or ? par Guy Wagner

 Que penser de l’augmentation du cours de l’or ? par Guy Wagner

2009 s’est révélé un bon millésime pour l’or. En effet, le cours de l’or a progressé de 24 % en dollar US et 21 % en euro. Cette bonne performance s’est maintenue en 2010, le cours de l’or gagnant encore 13 % en dollar US et 32 % en euro. Ces chiffres soulèvent la question de savoir si l’or est aujourd’hui sur acheté et si une bulle est en train de se créer.

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J’ai souvent dit qu’il est difficile de considérer l’or comme autre chose qu’une spéculation : ses applications économiques sont limitées et il ne génère aucune forme de revenu. En raison de son absence de valeur intrinsèque, il est impossible de le valoriser – du moins selon les normes traditionnelles. Il n’a de valeur que celle que les gens lui donnent. Le seul moyen de gagner de l’argent sur l’or est de trouver une autre personne prête à payer un prix plus élevé. Comme l’a dit Warren Buffett : « L’or est extrait du sol en Afrique ou ailleurs. Puis nous le fondons, nous creusons un autre trou, nous l’enterrons de nouveau et nous payons des gens pour le garder. Il n’a aucune utilité. Quiconque nous regarderait depuis la planète Mars demeurerait perplexe. »

 

Cela dit, acheter de l’or a produit des résultats exceptionnels lors de certaines périodes historiques. Entre 1976 et 1980, le cours de l’or a quintuplé et ces dix dernières années, il est passé de 300 dollars US à 1 200 dollars US. Il est donc intéressant de jeter un œil sur les facteurs qui par le passé ont déclenché une hausse du cours de l’or.

Cours de l’or depuis 2000 (en USD)

 

Cours de l’or depuis 2000 exprimé en euro

D’une manière générale, l’or augmente lorsque les gens perdent confiance dans la monnaie fiduciaire. En règle générale, c’est le cas lorsqu’ils ont l’impression que le risque d’une hausse de l’inflation est élevé ou lorsque le risque d’insolvabilité augmente, c’est-à-dire lorsque les gens craignent que leur banque ne soit plus digne de confiance ou que les gouvernements ne parviennent plus à rembourser leurs dettes. Ces deux risques sont présents dans le contexte actuel compte tenu des niveaux dangereusement élevés de la dette publique. L’or est la monnaie de la peur. Il sert d’instrument de mesure de la santé du système financier et monétaire.

Il est important de noter qu’étant donné la petite taille du marché de l’or, il suffit que quelques investisseurs achètent de l’or pour que son cours augmente. La quantité totale d’or disponible à des fins d’investissement (c’est-à-dire à l’exclusion de l’orfèvrerie et des applications industrielles, ainsi que des réserves des banques centrales) représente environ 0,5 % du total des actifs financiers mondiaux. Même une petite progression de la demande d’or à des fins d’investissement représente une quantité d’or impossible à satisfaire par l’extraction minière ou le recyclage de bijoux, du moins à court terme.  D’après le cabinet d’études canadien Bank Credit Analyst, une augmentation d’un pourcent de la part de l’or dans les portefeuilles des investisseurs engendrerait une multiplication par trois du cours de l’or par rapport à son niveau actuel.

En dehors de la hausse de l’inflation et du risque d’insolvabilité, deux autres facteurs soutiennent le cours de l’or.

Du côté de la demande, il y a l’émergence de l’Asie où l’or a une autre image que dans le monde occidental. En novembre dernier, l’Inde a conclu un accord en vue d’acheter 200 tonnes d’or au FMI. La Chine devra continuer à acheter de l’or si elle veut maintenir la part actuelle de l’or dans ses réserves totales. Si la Chine décidait de remonter cette part à son niveau d’il y a dix ans (les réserves de la Chine ont augmenté tellement rapidement ces dix dernières années que la part relative de l’or dans ces réserves a reculé), la demande d’or serait dynamisée. Les banques centrales d’autres pays émergents semblent elles aussi prêtes à acheter de l’or aux cours du marché afin de diversifier leurs réserves.

Du côté de l’offre, la production des mines d’or a atteint son apogée en 2001 avec 2.600 tonnes et est en recul depuis lors, notamment dans les pays producteurs traditionnels (Australie, Canada, Afrique du Sud et États-Unis). Il n’est pas facile d’inverser ce déclin. Peter Munk, fondateur de la société Barrick Gold, a déclaré récemment que personne ne réalise à quel point la situation de l’offre est grave, les grands gisements approchant de la fin de leur durée de vie utile tandis que la nouvelle production devient de plus en plus difficile et onéreuse. 

Comme il est impossible de valoriser l’or au moyen des mesures traditionnelles, les analystes étudient souvent la relation à long terme de l’or avec d’ autres actifs ou avec des variables économiques. Parmi celles-ci :

le ratio entre le cours de l’or et le marché boursier. Le ratio « or/Dow Jones Industrial Index (DJII) » s’établissait à 1 en 1980, à la fin de la dernière période de hausse du marché de l’or (cours de l’or : 850 dollars US, DJII : 850), a chuté à 0,025 en 1990 (or : 290 dollars US, DJII : 11 500) et s’est redressé depuis à 0,12 (or : 1200$, DJII : 10 200). Certains pensent que ce ratio pourrait encore augmenter pour revenir à 1 si, par exemple, le marché des actions perdait la moitié de sa valeur et le cours de l’or montait jusqu’à 5 000 dollars US par once. Il est important de noter cependant qui si on exclut les extrêmes, le ratio entre l’or et le marché boursier s’établit actuellement plus ou moins au niveau de sa moyenne à long terme ;

le ratio entre l’or et le pétrole. En 1973, une once d’or aurait acheté 42 barils de pétrole. En juillet 2008, une once d’or valait six barils de pétrole. Le ratio actuel entre l’or et le pétrole est proche de sa moyenne à long terme ;

le ratio entre l’or et le PIB (Produit Intérieur Brut) mondial. En 1980, la valeur de marché du stock d’or extrait par rapport au PIB mondial a atteint un plus-haut de 25 %. Il est retombé en-dessous de 3 % en 2002 et s’établit actuellement à 8 %. Là aussi, il est important de se rappeler que 1980 et 2002 étaient des extrêmes. Si nous comparons le cours de l’or au revenu par habitant du G7, par exemple, nous verrons que ce revenu équivaut actuellement à une quarantaine d’onces d’or, tandis que ces 40 dernières années, il était équivalent à 60 onces en moyenne.

Enfin, bien que l’or ait atteint dernièrement un niveau record en termes nominaux, il reste presque 50 % plus bas que lors de son plus-haut de 1980 en termes réels, c’est-à-dire après ajustement pour l’inflation. Pour le ramener à son niveau record en termes réels, un cours nominal de 2 300 dollars US par once serait nécessaire. À cet égard, il est intéressant de constater que les matières premières atteignent généralement de nouveaux plus-hauts en termes réels lorsqu’elles sont dans un marché structurellement haussier.

Un investisseur cherchant à acheter de l’or doit cependant savoir que le cours de l’or est maintenant devenu très dépendant d’un maintien de la demande à des fins d’investissement.

L’une des propriétés qui rendent l’or attrayant en tant que valeur de réserve – le fait qu’il est quasiment indestructible – est également son point faible. La quasi-totalité de l’or extrait jusqu’à maintenant est encore en circulation. Ainsi, même avec une stagnation ou un recul de la production minière, la quantité d’or qui pourrait théoriquement entrer sur le marché est énorme. Selon le World Gold Council, entre 2007 et 2009, l’ offre d’or s’est élevée à 11.125 tonnes. Elle se composait de 6.402 tonnes venant des mines (production d’or), 757 tonnes venant des ventes par les banques centrales et 3.966 tonnes venant du recyclage d’anciens bijoux en or. Pendant cette période, 7.646 tonnes seulement ont été achetées pour les besoins de la création de bijoux ou pour des applications industrielles ou dentaires. Le reste a été acheté à des fins d’investissement. En 2009, la demande pour investissement représentait presque 40 % du total de la demande, contre 5 % en 2000. L’écart potentiel entre l’offre et la demande industrielle et en train de se creuser étant donné que la demande de l’orfèvrerie et de l’industrie est sensible au prix et diminue donc en raison de la hausse du cours de l’or (la demande du secteur de l’orfèvrerie a reculé de presque 30 % entre 2007 et 2009, la demande industrielle de 20 %). Il y a également la possibilité que certains pays vendent une partie de leur réserve d’or afin de consolider leur budget. Cependant, le fait que le Central Bank Gold Agreement, qui stipule qu’un maximum de 400 tonnes d’or peuvent être vendues chaque année par les banques centrales des principaux pays industrialisés, a été renouvelé en août 2009 pour une période de cinq ans devrait limiter ce risque.

Pour conclure, je ne pense pas qu’une « bulle de l’or » soit en train de se constituer, comme celle qui s’est produite (avec le recul) en 1980. À l’époque, le cours de l’or avait progressé de 80 % en un mois, était retombé, avant d’hiberner pendant 20 ans. À l’inverse, bien que l’or ait beaucoup augmenté ces dernières années, on a régulièrement assisté à des corrections de plus de 10 % et il n’y a jusqu’à présent pas eu de hausse parabolique du cours. Ce type de comportement correspond beaucoup plus à un marché haussier qu’à une bulle.

Cours de l’or entre 1975 et 2000 (en USD)

 

Que l’on estime que cette période haussière touche à son terme ou qu’elle en est encore à ses débuts dépend de l’opinion que l’on a de la situation économique et financière. J’ai commencé cet article en disant que l’or n’a de valeur que celle que les gens lui donnent. On peut toutefois dire la même chose de la monnaie fiduciaire. L’intégrité de la monnaie fiduciaire est actuellement remise en question car de plus en plus de personnes craignent sa dévaluation implicite (inflation) ou explicite (dépréciation, réforme monétaire). Si le pire de la crise est derrière nous, ces craintes devraient s’apaiser et l’intérêt des investisseurs pour l’or se dissiper. Sinon, le cours de l’or pourrait continuer à monter.

Guy Wagner Banque du Luxembourg juil10

BILLET PRECEDENT : Considérations estivales par Guy Wagner (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENT : Cinq mythes sur l’or

L’or continue à exercer une fascination à laquelle de nombreux investisseurs ont du mal à résister. Il ne faut pas en chercher la raison bien loin : une succession de chiffres contradictoires sur l’état de l’économie. Mais l’or brille-t-il autant qu’on le prétend?

L’incertitude, les investisseurs en ont plus que leur part. Les bons résultats des entreprises contredisent les pronostics pessimistes concernant l’économie. Que doit faire l’investisseur ? L’opinion générale semble être :  » Souscrire une assurance contre le danger imminent, l’or par exemple « . Mais l’or offre-t-il réellement tant de sécurité ? Son prix ne peut-il que monter ? Battons en brèche cinq mythes tenaces.

Mythe 1: « À long terme, l’or performe mieux que les actions. »

Avec la succession de cours records, les investisseurs rêvent de bénéfices inouïs. Il est vrai que le parcours récent de l’or a de quoi impressionner : depuis début 2000, l’or a augmenté de 400 pour cent, alors même que les actions affichaient un rendement négatif. À plus long terme toutefois, l’or perd un peu de son clinquant. Si l’on prend 1990 comme point de départ, le prix de l’or a triplé. Sur la même période, l’indice S&P 500 des 500 plus grandes sociétés américaines a progressé de 350 pour cent. Si l’on en revient à 1980, le rendement de l’or est carrément maigrichon. Ces trente dernières années, l’or a doublé de prix tandis que le S&P 500 progressait de 2.300 pour cent. En dépit des crises qui ont frappé les bourses depuis 1980, le rendement des actions est, à long terme, d’un tout autre ordre que celui du métal précieux.

Mythe 2: « L’or ne fait qu’augmenter. »

L’un des mythes les plus ancrés veut qu’à long terme, l’or n’arrête pas de monter, lentement mais sûrement. Tous ceux qui ont investi en or dans les années 80 font chorus. Poussé à la hausse par la peur, le prix de l’or a explosé en 1980 pour atteindre le record de 850 dollars. Mais cette fièvre de l’or a été suivie de plusieurs décennies perdues pour l’investisseur : durant les 25 années suivantes, le prix de l’or a fortement chuté pour se stabiliser entre 250 et 500 dollars.

Mythe 3 : « L’or est le plus cher des métaux précieux » 

Même si l’or atteint des sommets impressionnants, il n’est pas le métal précieux le plus coûteux. Cet honneur revient au rhodium, un métal précieux proche du platine, qui se négocie actuellement au double du prix de l’or. Il s’agit d’un métal très dur et réfléchissant, dont l’usage est surtout industriel. Les joailliers le travaillent aussi. C’est ainsi que fin 2008, après les présidentielles américaines, la rumeur avait couru que Barack Obama avait voulu, pour remercier son épouse, lui offrir une bague de 25.000 euros. Cette création de Giovanni Bosco était en rhodium serti de diamants. À ce moment, un kilo de rhodium coûtait 175.000 euros. Plus tard, Barack Obama a nié avoir eu ce projet.

Mythe 4 : « L’or le plus populaire, c’est le lingot. »

Généralement, on associe immédiatement le terme à l’or physique, sous la forme de lingots ou de pièces de monnaie. Toutefois, ce ne sont plus les principales formes d’investissement. Les trackers, les fonds qui répliquent le cours de l’or, sont devenus – et de loin – le premier instrument de placement en or. Les chiffres du World Gold Council (WGC) indiquent qu’en 2009, ces fonds indiciels avaient attiré  quelque 17 milliards de dollars,  pour 5,5 placés en lingots. Les chiffres du WGC ne tiennent d’ailleurs pas compte des réserves en or des banques centrales. Le plus important tracker sur l’or est le SPDR Gold Trust, qui pèse 40 milliards de dollars. L’or qui en est à la base est conservé dans un coffre suisse de la banque britannique HSBC. Il y a environ 90.000 lingots.

Mythe 5 : « L’or protège toujours contre l’inflation. »

De nombreux investisseurs passent à l’or pour protéger au moins une partie de leurs avoirs contre l’inflation. La règle générale veut toutefois que le prix de l’or suit toujours l’inflation. Entre 1987 en 2001, l’inflation aux États-Unis a régulièrement fluctué dans une plage de 3 pour cent. Pendant cette période, l’or a baissé de prix. Une chose est vraie. Lorsque l’inflation part en flèche, le cours de l’or peut exploser. C’est ce qui s’est produit entre 1976 et 1980. Aux États-Unis, l’inflation est passée à 6 pour cent en 1976, pour culminer à 15 pour cent. Parallèlement, l’or est passé de moins de 150 dollars à  plus de 800 dollars… pour chuter au début des années 80.

source monargent.be aout10

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