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Hans-Werner Sinn : La rigueur budgétaire ne sauvera pas la Grèce

Hans-Werner SinnLa rigueur budgétaire ne sauvera pas la Grèce

    Au contraire: elle attisera la vindicte populaire à un point qui pourrait déstabiliser l’ensemble de l’est méditerranéen.

Les marchés continuent de penser que la Grèce ne parviendra pas à régler les échéances de sa dette.

La Grèce a de plus un autre énorme problème: le déficit de son compte courant s’élève à actuellement 13% de son revenu national net, ce qui signifie que 27 milliards d’euros doivent être annuellement financés par l’emprunt ou par la vente de titres grecs. Dans la mesure où les investisseurs internationaux ne sont plus d’accord pour combler ce déficit, et hésitent même à refinancer la dette grecque en cours, il ne reste que trois solutions.

La première est que l’Union Européenne apporte les fonds nécessaires de façon permanente, en créant une Union européenne de transfert au bénéfice des pays en déficit, y compris le Portugal, l’Espagne, l’Irlande et l’Italie.

La seconde option serait que la Grèce traverse une dépression, en baissant les prix et les salaires.

La troisième option serait que la Grèce quitte l’Euro et dévalue sa monnaie.

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Chacune de ces trois options est douloureuse, mais pour différentes raisons.

La première est insupportable pour les pays européens plus stables, car cela les priverait de leur richesse et les entrainerait dans une périlleuse tourmente budgétaire.

 La seconde entrainerait une recrudescence d’émeutes dans les rues grecques avec des conséquences politiques imprévisibles.

Et la troisième déstabiliserait l’Euro, avec de possibles incidences dans d’autres pays européens.

Dans la mesure où toutes ces options sont mauvaises, on se retrouve au coeur d’une véritable tragédie grecque, telle qu’on n’en voyait jusqu’ici que sur les scènes théâtrales.

Les politiciens pensent qu’une quatrième possibilité consisterait à imposer plus de rigueur budgétaire à la Grèce. Mais cela est faux.

Une rigueur budgétaire ne fonctionnera que si elle entraine le pays dans une dépression, provoquant une réelle dévaluation par la baisse des salaires et des prix, soit l’option numéro deux. Cela devrait stimuler l’afflux de touristes et les ventes de l’immobilier mais, même si cela semble facile et gérable pour un profane, cela risquerait d’être la solution la plus problématique pour la Grèce car cela attisera la vindicte populaire à un point qui pourrait déstabiliser l’ensemble de l’est Méditerranéen.

La tragédie aurait pu être évitée si la Grèce avait démontré une absolue maitrise de sa dette en temps voulu. Le pays aurait alors été incapable de se placer au-dessus des prix du marché par le biais d’un boom artificiel financé par la dette. Il n’y aurait alors pas eu de sommets atteints, mais pas de gueule de bois non plus.

La leçon qui doit être retenue de cette crise c’est qu’une union monétaire requiert une discipline de fer pour empêcher que ne s’installe un cycle expansion-récession en premier lieu.

Ici encore, trois possibilités sont à envisager:

_ Le système américain. Aux Etats-Unis, il n’y a ni mécanisme de sauvetage, ni prêts intergouvernementaux.

Les états dépensiers se déclarent en faillite si nécessaire.

Les marchés encouragent la discipline budgétaire nécessaire en temps voulu en augmentant les taux d’intérêt sur la dette publique. Ce système a plutôt bien fonctionné depuis le XIXe siècle, même si (ou peut-être parce que) cela impliquait un certain nombre de faillites d’états.

Zone Euro: La faillite d’Etat n’est plus taboue (cliquez sur le lien)

Ce système pourrait bien être mis rapidement à l’épreuve compte tenu des difficultés des finances californiennes.

_ Le système allemand. En Allemagne, le budget des états doit être approuvé par un «Conseil de la stabilité». Selon la constitution allemande, les états allemands (ou länder) ne se verront autoriser aucun déficit après 2020, et doivent d’ors et déjà rechercher une consolidation budgétaire pour atteindre cet objectif. Dans certains cas exceptionnels, un état peut être en déficit mais le volume de ce déficit ne doit pas être supérieur à 1,5% du PIB. S’il est supérieur à 1% du PIB, la différence est soustraite du budget autorisé l’année suivante, à condition que l’économie soit dans une courbe ascendante avec une productivité en contraction.

_ Un nouveau système del’UE, en ligne avec la logique de la stratégie de renflouage américaine que l’Union Européenne applique actuellement, devrait inclure des amendes automatiques pour les débiteurs impénitents.

Des prêts seraient octroyés par d’autres pays de l’UE, si nécessaire, sous forme d’obligations d’Etat sécurisées adossées à des titres d’état privatisables. L’ensemble serait limité à 10% du PIB.

Dans le cas où un pays ferait défaut sur ces emprunts, il devrait quitter l’euro et dévaluer.

Des amendes seraient automatiquement appliquées aux pays dont le rapport dette-PIB excède les 60% stipulés par le Traité de Maastricht ou dont le déficit budgétaire dépasse la limite des 3% du PIB. Les amendes pourraient être aussi élevées que ce que serait la prime d’intérêt en l’absence d’aide; le bénéfice d’une meilleure stabilité sous l’euro se répartirait ainsi sur l’ensemble des pays de la Zone Euro, plutôt que de ne profiter qu’aux seuls membres dépensiers.

Pour empêcher les débiteurs d’être pris dans le piège de la dette, les amendes pourraient prendre la forme d’obligations sécurisées adossées à des titres d’état privatisables.

Tout cela est très désagréable, et peut ne pas plaire aux politiciens qui croient encore aux rêves. Maisla bonne volonté ne suffira pas à faire disparaître la crise de la dette européenne. Il est temps pour l’Europe d’accepter les seules options envisageables pour maintenir la stabilité de l’euro – ainsi que celle de l’Union Européenne.

HANS-WERNER SINN Université de Munich, Institut Ifo. Project Syndicate may10

BILLET PRECEDENT : Hans-Werner Sinn : La Grèce ne remboursera jamais l’aide financière à l’Allemagne (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENT INDISPENSABLEL’Allemagne a proscrit les déficits pour 2016

 Après quelques hésitations, le gouvernement a dû se résoudre à laisser filer le déficit en 2009 et en 2010 à cause de l’ampleur de la crise. Mais dans quelques années, tout dérapage sera interdit.

Un déficit public à 5,5% du Produit intérieur brut! Théo Waigel, l’ancien ministre des Finances d’Helmut Kohl pendant plus d’une décennie, a sans doute dû se pincer en entendant la nouvelle. Waigel, qui avait négocié avec une rare intransigeance le Pacte de stabilité et de croissance devant empêcher les dérapages budgétaires dans la future zone euro, n’aurait sans doute jamais imaginé un jour voir un gouvernement allemand – qui plus est de droite – signer un budget à ce point dans le rouge… 

Mais la crise est passée par là. Et pas n’importe laquelle: « la plus profonde crise financière et économique de l’après-guerre », comme l’a expliqué le ministre des Finances Wolfgang Schäuble en détaillant ses options budgétaires pour 2010. Un budget dont l’élaboration et le vote par le parlement ont été retardés en raison des élections législatives de l’automne dernier, qui ont débouché sur la formation d’une coalition entre les chrétiens-démocrates (CDU) et les libéraux (FDP).

Efforts d’assainissement

En 2009, Berlin avait presque réussi à limiter la casse, avec « seulement » 3,2% de déficit, alors que la première économie européenne accusait une incroyable récession de 5%. Quant au budget de 2008, il était encore en équilibre, conséquence de l’important effort d’assainissement mené au cours des années qui ont précédé la crise. Un lointain souvenir… 

Le gouvernement mise cette année sur une reprise de 1,4%, grâce essentiellement aux exportations qui repartent en raison de la demande mondiale. Il espère aussi encourager les ménages à consommer davantage grâce à ses allégements fiscaux. À ce rythme, l’Allemagne ne retrouvera toutefois son PIB de 2008 qu’en 2013. L’équipe en place prévoit le début du processus d’assainissement en 2011 et cible un retour dans les clous du Pacte de stabilité d’ici 2013. 

Des réticences

D’abord réticent, le gouvernement précédent s’était résigné à laisser filer les déficits à court terme, afin d’éviter une explosion du chômage et pour soutenir la timide reprise qui a vu le jour fin de l’année dernière. Après quelques hésitations, il avait engagé début 2009 un plan de relance massif de l’ordre de 3% du PIB en vue de soutenir à la fois l’investissement et la consommation. Quelque 50 milliards d’euros de dispositions fiscales (primes pour les familles, baisses d’impôt, primes à la casse..) et de dépenses d’infrastructures ont été engagés. Le chômage à temps partiel a également été utilisé pour éviter les licenciements. Fin 2008, c’est un plan de près de 500 milliards qui avait été mis sur pied pour stabiliser les marchés financiers. L’autre raison –sinon, la principale – de l’ampleur du déficit, c’est bien sûr la contraction des recettes et la hausse des dépenses provoquées par la crise. Le gouvernement a laissé jouer les stabilisateurs automatiques. 

Conséquence de l’explosion du déficit, le ratio de la dette au PIB a connu une hausse brutale.En 2011, il sera quasiment à 80%. Mais est-ce si grave? Pour l’OCDE, pas tant que cela. Même si elle a souffert de l’effondrement des échanges internationaux, « l’Allemagne n’a pas eu à faire face à des déséquilibres majeurs des bilans des ménages ou des entreprises, ni à des bulles immobilières ». Malgré leur ampleur, les déficits publics allemands sont par ailleurs moins importants que dans beaucoup d’autres grandes économies, grâce à une situation de départ plus avantageuse. 

Mauvais exemple

Berlin risque d’autant moins de suivre l’exemple français – une incapacité chronique à diminuer les déficits – qu’une nouvelle et contraignante règle budgétaire est désormais inscrite dans la Constitution. Selon une loi adoptée en juin, le déficit du gouvernement fédéral ne pourra plus dépasser 0,35% du PIB à partir de 2016. Et à partir de 2020, les déficits dans les Länder seront tout simplement proscrits! 

En cherchant à dépasser les contraintes du Pacte de Stabilité, Berlin s’est engagé au-delà des principes classiques de politique budgétaire. Une façon très contraignante de montrer l’exemple, mais qui, pour l’OCDE, n’est pas totalement sans risque dans la mesure où le pays doit faire face à d’autres défis, comme le vieillissement de la population ou le renouvellement de sa compétitivité. 

Selon la Commission européenne, les prochains résultats budgétaires pourraient d’ailleurs se révéler moins bons que prévu compte tenu de l’absence de mesures spécifiques d’assainissement après 2010 et de la nécessité de concilier l’austérité avec la possible mise en œuvre des réductions d’impôts annoncées. Il faudra sans doute remettre l’ouvrage sur le métier.. 

Olivier Gosset echo avril10

VOIR AUSSI : Allemagne/Royaume Uni : Des perspectives très différentes pour deux pays particulièrement touchés par la crise (cliquez sur le lien)

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