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Pierre Bessard : L’anticompétitivité de l’Europe ou la «strategy of raising rivals’costs».

 Le gouvernement français cherche à réduire la concurrence en Europe. Une raison de plus pour la Suisse de se tenir à l’écart…

Ni l’irruption, ni l’intensité de la crise financière récente ne sauraient être sérieusement attribuées à un manque de réglementations à l’échelle européenne.

Il peut dès lors paraître surprenant que l’Union européenne (UE) planche depuis sur un nouveau système européen de surveillance financière. Pour rappel, la Commission européenne projette notamment, entre autres propositions législatives, d’instaurer une autorité bancaire européenne: cette institution devrait pouvoir présenter et mettre en oeuvre des réglementations dans l’ensemble de l’UE, décidées à la seule majorité qualifiée des Etats membres.

A quelles fins?

PLUS DE CENTRALISME BUREAUCRATIQUE EN SUIVANT : 

 Il est connu depuis longtemps qu’un moteur important de la centralisation européenne est la volonté d’Etats moins compétitifs d’augmenter les coûts d’économies rivales en centralisant les normes, selon ce que la théorie appelle la «strategy of raising rivals’costs».

 Dans une récente analyse, l’économiste Roland Vaubel constate que le projet d’autorité bancaire européenne pourrait bien être issu de cette même volonté, au détriment de places financières bénéficiant d’un régime de réglementation plus libéral, comme la City de Londres.*

En effet, il apparaît de plus en plus clairement que cette autorité est le fruit d’une initiative délibérée du gouvernement français. Tout d’abord, Paris a réussi à faire nommer Jacques de Larosière, un ancien gouverneur de la Banque de France, à la tête de la commission chargée de fournir des conseils sur l’avenir de la réglementation financière et de la supervision dans l’UE. Puis, le gouvernement français a conclu avec le président (portugais) de la Commission européenne la nomination de l’ancien ministre Michel Barnier comme commissaire au Marché intérieur, également responsable de la réglementation des marchés financiers.

Le président français Nicolas Sarkozy a qualifié publiquement ces développements de «grande défaite des Anglais» et de «triomphe pour les idées françaises», dont le modèle doit «mettre un terme aux excès du capitalisme financier».

C’est un fait que les réglementations françaises sont plus restrictives que les britanniques (sans que la crise financière internationale n’ait épargné la France).

 Pour Roland Vaubel, on se trouve ici en présence évidente d’une tentative de minoriser des Etats plus libéraux, afin de leur ravir des avantages compétitifs. Pour Paris, qui a déjà usé de cette stratégie avec succès dans d’autres domaines, la crise financière est un prétexte bienvenu.

Il est tout aussi frappant que l’harmonisation des réglementations des marchés financiers soit poursuivie avec une telle précipitation, indépendamment des événements récents, observe Roland Vaubel. La Commission européenne, la majorité du Conseil des ministres et avant tout Nicolas Sarkozy veulent vraisemblablement créer un fait accompli avant les prochaines élections britanniques et le retour possible des Conservateurs aux affaires, plus critiques à l’égard du processus de centralisation européenne.

Or, lorsque la concurrence d’Etats plus libéraux est amenuisée, le niveau de réglementation risque d’augmenter encore davantage que dans le cas d’un cartel de gouvernements, car les Etats qui tempéreraient les ardeurs réglementaires se trouvent simplement en minorité.

La conséquence: la finance risque de rediriger certaines activités vers New York, Zurich, Hong Kong et Singapour, prévoit Roland Vaubel. Pour la Suisse, ce projet législatif serait un motif additionnel important de ne pas adhérer à l’UE._

* «Die Europäische Bankaufsichtsbehörde: Raising Rivals’Costs?», KOF EPF Zurich, 2010.

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