Innovation Technologique, scientifique ou financière

De Bric et de Broc/Russie: le lourd et périlleux héritage du nucléaire

Russie: le lourd et périlleux héritage du nucléaire

L’état du nucléaire civil en Russie a de quoi faire frémir: les dépôts de déchets radioactifs de haute activité sont pleins à craquer, plusieurs réacteurs sont vétustes et ne répondent plus aux normes… En bref, lit-on entre les lignes, une nouvelle catastrophe n’est pas improbable.

La catastrophe naturelle au Japon prend une ampleur de plus en plus dramatique. Les explosions dans les centrales atomiques japonaises contraignent les spécialistes du monde entier à s’interroger une fois de plus sur l’avenir de cette énergie et sur la sécurité des sites nucléaires. L’énergie nucléaire est-elle «dépassée» et constitue-t-elle un modèle auquel il faudrait renoncer? Le temps est venu d’analyser attentivement une nouvelle fois la question de la sécurité énergétique nucléaire dans le monde. Qu’en est-il en Russie?

PLUS DE RISQUE EN SUIVANT :

Actuellement, 10 centrales et 32 tranches nucléaires sont en activité sur le sol de la Fédération de Russie. Si l’on met en perspective les problèmes énergétiques russes, il convient de reconnaître que ni les réacteurs nucléaires modernes, ni les combustibles à base d’uranium ne constituent une panacée pour le développement énergétique du pays. Il y a des limites au développement nucléaire moderne russe.

L’accumulation de déchets radioactifs et de combustible nucléaire usé est proportionnelle à la production d’énergie électrique. Au début 2011, on comptait plus de 20 000 tonnes de combustible nucléaire usé stocké dans les centrales nucléaires russes et dans les dépôts des usines radio-chimiques. Seule une part infime de celui-ci est traitée dans des usines spécifiques. Le combustible nucléaire usé des centrales russes s’accumule dans des régions à forte population de la partie européenne du pays et la totalité stockée en Russie contient près de 175 tonnes de plutonium, substance particulièrement problématique de par son influence néfaste sur l’environnement.

De fait, la situation actuelle en Russie concernant les déchets radioactifs est extrêmement critique. Le territoire russe abrite près de la moitié du total des déchets mondiaux. Près de 99% des déchets nucléaires se concentrent dans les entreprises de Rosatom, et comprennent tous les déchets de haute activité et une grande part des déchets de moyenne activité. Aujourd’hui, les dépôts de déchets radioactifs sont pratiquement pleins. Le volume restant permettra de garantir l’exploitation de toutes les centrales nucléaires en stockant leurs déchets radioactifs solides durant 5 ans et liquides durant 8 ans. La quantité de combustible nucléaire usé conservée sur les plates-formes des centrales nucléaires réduit la sécurité nucléaire, mais il n’existe hélas pas de loi sur la politique d’Etat relative aux déchets radioactifs et au combustible nucléaire usé.

L’utilisation non contrôlée de matériaux fissiles constitue une menace potentielle. Le marché de l’énergie nucléaire ne diminue pas, au contraire, il s’amplifie. Un seul réacteur d’une puissance de 1000 MW produit en une année suffisamment de plutonium pour fabriquer 40 à 50 armes nucléaires.

Le coût de la nouvelle tranche nucléaire de la centrale finlandaise Olkiluoto est de 3 milliards d’euros, montant de trois, cinq, voire sept fois supérieur à l’investissement nécessaire pour construire une centrale électrique thermique avec turbines à gaz à cycle combiné pouvant être bâtie trois à quatre fois plus vite qu’une centrale nucléaire. Mais ces données sont-elles prises en compte dans la réalité russe sachant que les constructions de tranches nucléaires coûtent de plus en plus cher?

La sécurité des réacteurs est principalement assurée par l’augmentation des systèmes de sécurité et du nombre de barrières limitant les fuites radioactives. En conséquence, les centrales nucléaires deviennent de plus en plus complexes, ce qui augmente proportionnellement leurs coûts de construction et d’exploitation, sans qu’il soit toutefois possible de garantir leur fiabilité à 100%. La théorie nous a appris qu’il n’existe pas de garantie absolue. Un certain risque subsiste toujours.

Pour ma part, je suis catégoriquement opposé au prolongement de la durée d’activité des vieilles tranches nucléaires, telles que les tranches nucléaires 3 et 4 de la centrale de Novo­voronej et les tranches nucléaires 1 et 2 de celle de Kolsk. Sont concernées également onze tranches nucléaires avec réacteurs RBMK de type de ceux de Tchernobyl dans les centrales de Leningrad (près de Saint-Pétersbourg), de Smolensk et de Koursk.

Ces centrales nucléaires ne satisfont pas aux exigences de sécurité modernes basées sur le principe de poupée russe qui prévoit un système de barrières superposées permettant d’empêcher la propagation de substances radioactives dans l’environnement.

Sachant que l’exploitation des centrales nucléaires en activité sur le territoire russe suit les règles exigées et les normes de sécurité qui étaient appliquées lors de leur mise en service, aucune de ces centrales ne peut pour l’heure répondre totalement aux exigences modernes de sécurité.

Les moyens mis en œuvre pour venir à bout d’un accident survenu dans une centrale nucléaire sont énormes. Aussi les dépenses engagées par les pays touchés par la catastrophe de Tchernobyl pour en réduire les conséquences ont dépassé en 25 ans les 700 milliards de dollars et se compteront encore longtemps en milliards de dollars annuels. L’Ukraine y engage ainsi environ 5% de son budget national, la Biélorussie près de 10%, la Russie entre 0,5 et 1%.

Le démantèlement des centrales ayant épuisé leurs ressources pèsera énormément sur le budget du pays dans les prochaines années. Pour cette raison, Rosatom fait tout son possible pour prolonger leur activité, sachant que la publication du programme réel de fin d’exploitation des tranches nucléaires provoquera un choc économique pour les employés des entreprises génératrices d’emplois.

Le potentiel de destruction de la technologie nucléaire est le plus élevé qui soit. Les centrales nucléaires sont des cibles de choix pour le terrorisme et lors d’opérations militaires. La menace nucléaire représente un problème très particulier, que ce soit par l’acquisition de plutonium et d’uranium hautement enrichi, le sabotage d’un site nucléaire ou l’utilisation de matériaux radioactifs dans des bombes «sales». Les préjudices causés au pays en termes de surface touchée sont bien plus importants suite à la destruction d’une centrale nucléaire que suite à celle de toute autre construction. Les conséquences de la destruction d’un dépôt de déchets nucléaires par le crash d’un avion, un tsunami ou l’attaque d’un missile ne sont pas moins terrifiantes que la destruction d’une centrale nucléaire. Il existe une forte corrélation entre les risques nucléaires et la stabilité sociopolitique et économique de la société. Il suffit en effet que surviennent un ou plusieurs gros accidents pour que l’énergie nucléaire cesse d’être considérée comme acceptable par la société.

Le facteur humain sur les sites nucléaires constitue une donnée essentielle dans la garantie de leur sécurité. Quelque extraordinaires que soient les efforts entrepris pour mettre en place des systèmes technologiques de pointe, c’est toujours l’être humain qui aura à les gérer. Et tant que le niveau de responsabilité et d’organisation de ce dernier ne s’élèvera pas à la hauteur de ces nouvelles technologies, on ne sera jamais sûr de la fiabilité et de la sécurité de l’énergie nucléaire.

Aujourd’hui, l’énergie nucléaire a grandement besoin de nouvelles idées scientifiques et d’innovations technologiques. L’engagement de nouvelles forces, connaissances et expériences dans la résolution de ces questions est d’une extrême et nécessaire actualité.

Par Vladimir M. Kouznetsov/le temps avril11

EN COMPLEMENT : A Tchernobyl, la décontamination par le colza

Par Laurent Geslin kiev/le temps avril11

Une ONG japonaise expérimente une technique depuis quatre ans. Plusieurs cycles sont encore nécessaires pour évaluer l’efficacité de la méthode. Mais l’huile tirée du colza permet déjà la fabrication de biocarburant

L’homme a baissé la vitre de la voiture et laisse sa caméra capturer les images. Maisons éventrées, envahies par la végétation, fenêtres ouvertes sur le néant. Lioubarka, Vazar, Velyki Klishtchi, des villages en ruine mangés par la forêt de conifères. Cela fait bien longtemps que plus personne n’habite ici. Hitoshi Takase et son collègue sont des journalistes japonais. Ils se rendent à Naroditchi, une ville située à 70 km de Tchernobyl, «pour apprendre comment survivre à l’atrocité nucléaire, pour prendre une leçon». Ils ont déjà compris que celle-ci serait difficile.

La bourgade de Naroditchi est située en zone 2, c’est-à-dire en zone d’«évacuation obligatoire», selon la typologie du gouvernement ukrainien, juste après la «zone interdite» de 30 km de rayon autour de la centrale. Personne n’est censé encore habiter ici, mais les années ont passé et l’argent a manqué pour reloger ailleurs l’ensemble de la population de la région. Alors, sur les 10 000 habitants que comptait le bourg avant la catastrophe, 3000 y vivent encore. Des milliers d’hectares de sols agricoles sont pourtant contaminés, le césium et le strontium empoisonnent toujours la terre, les plantes et les animaux. Ainsi que les hommes.

En mars 2011, une équipe de scientifiques de Greenpeace s’est rendue dans les régions de Rivne et de Jitomir pour prélever des échantillons d’aliments produits sur place. A Naroditchi, une concentration en césium 137 de 288 000 becquerels par kilogramme (Bq/kg) a été détectée dans des champignons, soit 115 fois la limite fixée pour cet aliment par le Ministère ukrainien de la santé en 2006. Et selon une doctoresse du dispensaire régional citée par la presse locale, seuls «1 à 2% des enfants qui naissent à Naroditchi seraient en bonne santé».

Sur la place principale du bourg, quelques habitants se sont regroupés autour de l’équipe de tournage japonaise. «Les conséquences de Fukushima se feront sentir durant des dizaines d’années, avertit Ania, la quarantaine. Nous pouvons le voir ici.» A la mairie, Alexandr Prokopenko, le chef du Conseil communal, est plus optimiste. Pour lui, «la vie est en train de renaître à Naroditchi. Nous avons 500 enfants dans le bourg contre 300 il y a dix ans et de nombreux habitants aimeraient pouvoir revenir». A une condition cependant, il faut «nettoyer les terrains agricoles». Une ONG japonaise qui travaille à Naroditchi depuis 1990, Tchernobyl-Chubu, a justement lancé, en coopération avec l’Université nationale agroécologique de Jitomir, un projet de décontamination du sol par le colza.

«Le colza absorbe et stocke les éléments radioactifs et permet ensuite de faire pousser d’autres cultures comme du seigle, du blé ou du sarrasin», explique au milieu d’un champ en friche Takeuchi Takaaki, le coordinateur de l’opération sur le terrain. Lancée en 2007, l’expérience se limite pour l’instant à quelques hectares et il faudra plusieurs cycles d’assolements pour évaluer l’efficacité de la méthode. Toutefois, l’huile tirée du colza permet déjà la fabrication de biocarburant pour les tracteurs. Quant aux tiges et aux feuilles, où se concentrent les radioéléments absorbés dans le sol, elles sont utilisées pour produire du biogaz. Lequel ne devrait pas contenir d’éléments radioactifs tels que le strontium et le césium, du moins pas à des concentrations dangereuses.

«Ce programme est très important pour nous, il montre qu’il est temps, pour la prochaine décennie, de passer de l’aide aux victimes à la réhabilitation et au développement de notre territoire, explique Mykola Didoukh, le directeur de l’Université agroécologique de Jitomir. Et si les résultats sont concluants, nous pourrons étendre l’expérience à d’autres régions d’Ukraine.»

En retournant vers Kiev après leur reportage, les deux journalistes japonais pensaient aussi certainement un peu à leur pays. «Il va falloir que le peuple japonais soit fort», lance Hitoshi Takase, dans un dernier sourire…

Laisser un commentaire